Mercredi 21 septembre, le président du conseil général de Seine-Saint-Denis, Claude Bartolone, préside les travaux de la commission d’enquête parlementaire sur « les produits financiers à risque souscrits par les acteurs locaux. » Celle-ci se penche sur les emprunts toxiques souscrits par les collectivités locales pour se financer. M. Bartolone veut également faire émerger des solutions afin que les banques payent ce qu’il considère comme un « non-respect de leur déontologie ».
Est-on au bord d’une faillite du secteur public local ?
Les collectivités ne peuvent pas légalement se trouver en faillite. Elles peuvent en revanche se trouver mises sous tutelle de l’Etat. Pour échapper à ce scénario, beaucoup peuvent être contraintes d’augmenter leurs impôts ou de réduire de manière drastique leurs investissements. Or, les collectivités locales assurent aujourd’hui 71 % des investissements publics en France.
Si elles se trouvent durablement plombées par les emprunts toxiques, ce sont des carnets de commandes des entreprises qui se videront, avec les conséquences que cela entraînera sur une croissance déjà en proie à la récession.
N’a-t-on pas minoré le danger des emprunts toxiques ?
Au début, il faut bien dire que je hurlais un peu tout seul. Ensuite, j’ai été rejoint par les maires de Saint-Maur-des-Fossés, Henri Plagnol, celui de Saint-Etienne, Rouen et d’autres qui ont osé en parler. Enfin, ma proposition de créer une commission d’enquête parlementaire sur le sujet a été votée en juin à l’unanimité par l’Assemblée nationale, gauche et droite confondues ! C’est suffisamment rare pour être noté.
La cour des comptes évalue entre 10 et 12 milliards d’euros l’encours des emprunts « toxiques ». Si l’on considère que certains taux d’intérêt, notamment ceux indexés sur le franc suisse, sont supérieurs à 30 % à ce jour, on peut estimer à 5 milliards d’euros la somme totale à trouver pour les rembourser. C’est colossal et difficilement supportable pour les collectivités.
Cela dit, je crois que la cour de comptes n’a pas eu accès à suffisamment d’informations du côté des banques. Son rapport est une étape supplémentaire vers la prise de conscience, mais il reste à évaluer l’ampleur du phénomène. Tant que le gouvernement ne demandera pas toute la clarté, nous nous heurterons toujours à un mur bancaire. Pour ma part, j’ai déposé de nombreux amendements dans le cadre des discussion budgétaires au parlement pour avoir des informations. Le gouvernement les a toujours refusés.
Les élus n’ont-ils pas été trop dépensiers ou imprudents ?
C’est un peu le contraire. Dans les années 90, les collectivités s’étaient désendettées. Les élus avaient moins d’appétit pour de nouveaux emprunts. Dans le même temps, les banques se sont retrouvées en situation de concurrence. Pour allécher les élus, elles ont mis au point des produits leur permettant d’avoir une « gestion active de leur dette », comme elles disaient… Autrement dit des prêts avec des coûts fixes minimes au début, susceptibles d’évoluer ensuite, et ce, sans aucune limite.
Les banques ont-elles profité de la crédulité des collectivités ?
Les collectivités avaient l’habitude de travailler en confiance avec certains établissements comme Dexia qui, par le passé, les ont sagement conseillées dans leur gestion. Dexia était la banque de référence des élus avec à sa tête un patron génial, Pierre Richard. Il avait une aura depuis son passage à la direction générale des collectivités locales (du ministère de l’intérieur, ndlr).
Quand il a créé le Crédit Local, qui évoluera en Dexia, les élus ne savaient pas que cette banque fonctionnerait selon des logiques du secteur privé. Ils n’ont pas été assez attentifs au moment où les produits structurés sont devenus, pour les banques comme pour leurs représentants, source de marges cachées, de profits et de rémunérations liées davantage aux risques qu’elles faisaient prendre aux collectivités plutôt qu’aux conseils éclairés qu’elles pouvaient leur prodiguer.
Pourquoi n’y a t-il pas eu d’alerte plus tôt ?
L’ensemble de la chaîne de décision a dysfonctionné. Les premières responsables sont les banques. Elles ont gravement fauté. Elles n’ont pas respecté la règle déontologique qui prévoit qu’elles doivent donner des conseils aux clients « non initiés ». Franchement, pour comprendre les contrats qu’elle proposaient, il fallait avoir une formation de trader ! Moi même, je n’ai rien compris à certains contrats et j’ai donc refusé d’en souscrire quand j’étais maire du Pré-Saint-Gervais.
Certains élus n’ont pas toujours pu ou su résister aux pressions des banques. Les tutelles de l’Etat aussi ont dysfonctionné. En 1992, la direction générale des collectivités locales a publié une circulaire visant à encadrer les produits financiers proposés aux collectivités. Elle est devenue rapidement obsolète et n’a été réactualisée que cette année. Je note que la même année, la Chambre des Lords britannique a interdit le recours aux emprunts toxiques et déclaré nuls et illégaux de tels prêts contractés par les collectivités. Les préfets, chargés de contrôler la légalité des budgets des collectivités, auraient dû tirer eux aussi la sonnette d’alarme.
Valérie Pécresse, la ministre du budget, affirme qu’il n’y a pas de » risque systémique » lié aux emprunts toxiques…
Le gouvernement préfère minimiser. En novembre 2009, il a temporisé en nommant un médiateur entre les banques et les élus, dont on attend toujours le rapport qu’il a pourtant promis. Le gouvernement est embarrassé car l’Etat a lui aussi commis une faute lourde. Il se dit que s’il y regarde de plus près, il sera obligé de payer.
Que proposez-vous ?
En ma qualité de président de la commission d’enquête parlementaire, j’ai fixé trois objectifs : clarifier les conditions dans lesquelles les banques ont pu conclure de tels contrats et le rôle de l’Etat.
Quant aux solutions, nous pourrions envisager une « structure de sortie » de ces contrats qui impliquent financièrement l’Etat, les banques et les collectivités. Les élus doivent absolument échapper au piège dans lequel ils sont tombés. Sinon, c’est toute l’économie qui en pâtira.
Il faut rendre aux collectivités locales les moyens de participer à l’effort d’investissement et de jouer leur rôle de filet de protection sociale, sans quoi aucun retour de la croissance ne sera possible dans notre pays. Ce sera l’un des rendez-vous de l’élection présidentielle.
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