Allocution de M. Eugène BINAISSE
Maire d’Hénin-Beaumont
à l'occasion du 66 ème anniversaire de la Libération d’ HENIN-BEAUMONT
Messieurs les Représentants des organisations patriotiques,
Mesdames et Messieurs les descendants de compatriotes morts au combat, dans la Résistance ou la Déportation,
Mesdames, Messieurs les Membres du Conseil Municipal,
Mesdames, Messieurs, Chers Collègues, Chers Amis,
La libération d’Hénin, cela peut d'abord être le rappel de l'enfer du 10 mai 1940 pour la région.
Les troupes hitlériennes qui déferlent sur le Nord-Pas-de-Calais, après avoir écrasé la Belgique et la Hollande.
Les premières victimes militaires mais aussi civiles.
L'avance foudroyante de la Werhmacht en direction de la France, s'accompagnant des raids de la Luftwaffe qui s'attaque aux points stratégiques.
Calais sera la première ville à être touchée par les bombardements aériens.
Dès le 12 mai, la population de la région voit passer des milliers de réfugiés belges s'enfuyant vers le sud.
Ils seront bientôt suivis par les réfugiés du Bassin de la Sambre, du Valenciennois, du Douaisis, puis de l'Artois.
Poussant des vélos chargés de bagages et des charrettes brinquebalantes où s'entassent les objets les plus hétéroclites, cette masse de réfugiés erre le long des routes en un interminable et pitoyable cortège, bientôt rejoint par les troupes françaises battues en Belgique.
Cette foule de civils et de militaires enchevêtrés, sert de cible aux « stukas » qui prennent les routes nationales en enfilade.
Dotés de sirènes hurlantes, les avions opèrent en piqué et ajoutent encore à l'effet de panique et aux massacres des bombardements.
Pendant des jours, les populations désemparées, fuyant l'ennemi se trouvant partout et nulle part, marchent sans but précis.
Le 19 mai, l'avant-garde des panzers de Rommel atteint l'Est du Pas-de-Calais et les réfugiés n'iront plus très loin.
Le lendemain se dessine l'encerclement des forces franco-britanniques dans une énorme poche allant de la Somme à Dunkerque.
Aux nombreuses victimes de cet exode s'ajoutent les exécutions de civils perpétrées par la Werhmacht et les divisions SS, en représailles aux velléités de résistance et pour établir d'emblée une chape de terreur sur notre région et le Bassin Minier en particulier.
Les massacres sont épouvantables à Aubigny en Artois, Berles-Monchel, Lestrem et dans bien d'autres localités encore.
Et l'horreur culminera le 28 mai dans les communes minières de Courrières et de Oignies.
Louis Aragon, brancardier à l'époque sur ce triste terrain d'opérations, à Oignies, relatera le calvaire d'un officier anglais, « jeune et fort, blond, sans rien sur la tête, lié sur un fauteuil... un homme. Ils l'ont arrosé d'essence, vivant, comme ils l'ont fait des morts dans la cour du Château De Clercq tout à l'heure...lui et la pièce autour. El ils viennent d'y flanquer le feu. Ils ont jeté l'essence sur cet homme comme on jette des seaux d'eau sur un ivrogne. Alors a commencé ce cri. Un cri d'homme... » Et Aragon de conclure : « Je ne dis pas que l'homme a crié : cela a crié dans l'homme »...
Le 27 mai, le Pas-de-Calais était totalement occupé. Le 2 juin, Hitler visitait les tranchées canadiennes de Vimy face auxquelles il avait jadis combattu...
Avant même que l'armistice ne fût signée, les départements du Nord et du Pas-de-Calais furent rattachés au Commandement militaire allemand de Bruxelles, alors que le reste des zones occupées était rattaché au Commandement de Paris.
Sous prétexte d'opérations militaires contre l'Angleterre, mais également en fonction d'enjeux industriels très importants, avec le charbon notamment, les deux départements nordistes furent décrétés « zone réservée » à l'intérieur d'une zone elle-même déclarée « zone interdite ».
Ainsi notre région connaîtra pendant toute l'occupation un statut particulier qui aggravera les conditions imposées au reste de la France, et qui contenait la menace d'une annexion au Reich.
Quatre ans après ce qui aurait pu apparaître comme un point de non retour dans la perte de souveraineté et de liberté pour notre pays, nos populations allaient enfin pouvoir revivre, et les plaies être pansées.
Dans ce bassin houiller où les hommes se sont battus jusque dans les entrailles de la terre, sans doute était-il dit que le fascisme allait rencontrer sur sa route les plus nobles motivations patriotiques.
La résistance à l'occupant, le refus de la botte nazie, la volonté aussi, par delà l'ombre et la souffrance, de bâtir un monde meilleur, s'inscriront ici en lettres de sang sur les plus héroïques pages de la libération du pays.
Quatre années d'épreuves, de privations et de deuils, annoncés, déjà, par l'assassinat de la République en Espagne, par les accords honteux de Munich; quatre années scellées, aussi, dans la collaboration de Vichy, la participation de l'administration pétainiste à la Shoah, son zèle dans les basses œuvres de la répression contre la Résistance ou dans le pillage des richesses nationales.
Il faut, dans un même hommage, rassembler aujourd'hui tous ceux qui gardèrent à la France son âme et son honneur : résistants, patriotes, civils et militaires, syndicalistes ouvriers et intellectuels progressistes.
Avec les forces alliées et celles de l'Union Soviétique sur le Front de l'Est, ils n'ont pas fait qu'entretenir l'espoir et libérer notre pays du joug nazi, ils ont aussi permis à une formidable aspiration au progrès social de prendre corps dans les épreuves, autorisant le redressement national et écartant – faisons en sorte que ce soit pour toujours – le désastre et le malheur.
Liesse donc, en ce deux septembre 1944, à Hénin. Espérance et fierté dans la liberté retrouvée.
Mais aussi meurtrissures et vides immenses laissés par les combats, les bombardements aveugles de civils, la disparition de centaines de milliers d'êtres chers.
La libération sera ainsi la révélation, dans toute son ampleur, de la monstrueuse réalité des camps d'extermination.
Et plus le temps passe, plus il semble que cette mémoire se délite.
Sera-t-on étonné, dès lors, qu'avec la détresse, le chômage et les difficultés grandissantes, insupportables pour des millions de Français, on tente chaque jour de nous livrer en pâture de nouveaux boucs-émissaires de la peur et de la misère ?
Les temps ont changé et les chances de la Paix ont grandi.
Mais si nous ne continuons pas d'intervenir dans un débat indispensable, vital, pour nourrir la mémoire, tirer sans relâche les leçons du passé à la lumière des évènements du présent, alors les mêmes causes pourraient reproduire les mêmes effets.
Soyons unis et, je dirai, intelligents; soyons-le d'abord pour notre commune, pour ses enfants et pour celles et ceux de nos concitoyens qui ont payé le plus lourd tribut à la barbarie nazie : 56 victimes militaires, 59 morts dans des bombardements, 57 autres morts pour la France à la libération ou exterminés dans les camps pour fait de résistance, pour leurs convictions politiques, leur engagement syndical ou leur religion, alors que les combats de la Libération donnèrent encore lieu à des crimes contre notre population, de la part d’une bête blessée à mort mais encore assoiffée de sang.
Merci à vous tous d'avoir participé à la célébration de ce 66ème anniversaire de la Libération d' Hénin. Que les jeunes générations sachent bien que la paix, la liberté, la démocratie et l'amitié entre les peuples, sont nos biens les plus précieux pour envisager l'avenir avec le même enthousiasme et le même optimisme qui pouvaient avoir de nouveau cours en ce début septembre 1944 à Hénin et partout dans le pays.
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