Entretien de Jean-Pierre Chevènement au journal "Le Parisien", vendredi 12 septembre 2014. Propos recueillis par Philippe Martinat.
Le Parisien : Que pensez-vous des déclarations de Barack Obama qui veut « éradiquer » l'Etat islamique ?
Jean-Pierre Chevènement : En dehors d'une extension des frappes américaines au territoire de la Syrie, les déclarations de Barack Obama restent vagues.
Elles marquent peut-être un changement d'échelle dans les moyens d'intervention ?
C'est possible, mais les prérequis d'une intervention d'ampleur ne me semblent pas réalisés. Il faut d'abord avoir, outre l'autorisation du gouvernement irakien, l'appui des forces armées constituées sur le terrain. Et puis on ne connaît pas les contours d'une éventuelle coalition internationale. Si une intervention a lieu à la demande du gouvernement irakien, elle doit être avalisée par l'ONU : c'est décisif. N'oublions pas que les principales victimes du califat islamique, ce sont d'abord les musulmans. C'est donc d'abord à eux qu'il revient de se débarrasser de cette lèpre. La France n'a pas à caracoler au premier rang.
L'aide des Occidentaux n'est-elle pas indispensable, au vu de la puissance de l'Etat islamique ?
La puissance de l'Etat islamique doit être relativisée. Plusieurs problèmes se posent. D'abord, en armant le Kurdistan, on risque de lui donner la légitimité d'un Etat indépendant. Plus encore, l'armement du PKK poserait inévitablement de graves difficultés avec la Turquie. Et puis quel est l'objectif de la coalition internationale ? Il ne peut être que de restaurer l'Irak et la Syrie dans leurs frontières et dans leur intégrité. Enfin un problème se pose avec la Syrie d'Assad : si on veut réduire les troupes du califat islamique en Syrie, il faut rompre avec le simplisme idéologique qui en a fait, depuis 2012, la cible principale de l'Occident. Cela conditionnera aussi l'appui nécessaire de l'Iran.
Vous visez Laurent Fabius qui, le premier, appelait au départ du dirigeant syrien ? C'est Alain Juppé qui a le premier rompu, en mars 2012, les relations diplomatiques avec la Syrie. On voit où une politique d'ingérence à courte vue a conduit en Libye : en voulant changer le régime, on a récolté le chaos. Le but politique de toute intervention doit être de restaurer les nations légitimes que sont l'Irak et la Syrie, sans prétendre décider à la place des peuples intéressés. Evidemment, c'est très difficile. Cela l'aurait été beaucoup moins si les Etats-Unis avaient eu depuis 1990 une approche politique avisée et prudente au Moyen-Orient. Les « néo-cons » (NDLR : les néoconservateurs) américains portent une lourde responsabilité dans le chaos irakien actuel.
Obama est-il dans la lignée des néoconservateurs ?
Non, je fais une distinction entre Obama et certains milieux du Département d'Etat. Je ne partage pas l'idée qu'il aurait fait preuve de faiblesse en refusant les frappes sur la Syrie en 2013. Au contraire, il faut beaucoup de courage à un responsable politique pour aller contre les médias, les états-majors et les lobbys politiques. Je souhaite qu'Obama ne cède pas aujourd'hui à leurs pressions et évite de s'enfoncer dans un bourbier.
Faut-il aider les rebelles syriens non islamistes pour lutter contre l'Etat islamique ?
On ne s'appuie que sur ce qui résiste. L'opposition laïque, très faible sur le terrain, n'a jamais pu constituer un gouvernement.
Source : Le Parisien
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.