Ancien conseiller de F. Mitterrand, J. Attali n’est jamais avare en bons mots dès qu’il s’agit d’évoquer les questions d'actualité. Nous vous proposons aujourd’hui de découvrir son point de vue sur la question de la sécurité, thème qui fait débat en ce moment au sein de la classe politique.
"Les questions de la sécurité et de la croissance ne sont pas indépendantes".
Les questions de la sécurité et de la croissance ne sont pas indépendantes : les crises de l'une et de l'autre sont intimement liées. Sans sécurité, il ne peut y avoir de croissance, en tout cas pas de croissance légale; et, pour avoir de la sécurité, il faut faire montre d'autorité.
Thomas Hobbes a, le premier, montré qu'une violence d'Etat est nécessaire pour permettre à l'économie de marché de fonctionner, en garantissant le droit de propriété et les contrats; autrement dit, le contrat social est la condition de la validité des contrats privés.
La menace de sanctions n'est jamais dissuasive quand la probabilité de gagner honnêtement sa vie est nulle.
Réciproquement, sans croissance légale, il ne peut y avoir de sécurité, car la croissance seule nous protège du développement de l'économie illégale, de l'économie criminelle et, pis, de l'économie du crime. La condition de la croissance légale ne se réduit pas à la mise en oeuvre d'une politique sécuritaire car la menace de sanctions n'est jamais dissuasive quand la probabilité de réussir à gagner honnêtement sa vie est nulle, quand l'univers légal est moins attractif que l'univers criminel.
Or, c'est bien ce qui se passe, aujourd'hui, dans notre belle France: quand on vient de certains milieux, la probabilité de réussir à l'école, de trouver un bon métier, de faire mieux que ses parents, de faire fortune, est nulle. Les enfants des quartiers difficiles sont deux fois plus nombreux que les autres à avoir deux ans de retard à l'entrée en sixième. Les habitants de ces banlieues endurent bien pire que l'insécurité: ils souffrent de la certitude que rien de ce qui constitue les bonheurs de la vie n'est pour eux. Le gangstérisme devient alors la forme détournée de la promotion sociale et la forme dévoyée de la révolution.
Si l'on veut assurer la sécurité et la croissance, il ne sert donc à rien de retirer la nationalité à ceux qui n'en ont cure, parce que cette nationalité ne leur rapporte rien; en agissant ainsi, on ne fait que créer un sentiment d'insécurité chez les Français, très nombreux, dont au moins un grand-parent est né étranger. Il ne sert à rien non plus d'ajouter des milliers de policiers à ceux qui font face aujourd'hui, courageusement, aux criminels: les moyens ne seront jamais suffisants et l'on finira, comme l'ont fait d'autres pays, par abandonner aux bandes une vaste partie du territoire national.
La solution n'est donc pas dans une déclaration de guerre aux gangs, mais dans la mise en valeur des talents de ceux qu'on est en train de laisser devenir des ennemis de la République. Il faut pour cela créer les conditions d'une véritable mobilité sociale. C'est possible : ce qui est en passe de réussir pour le logement avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) peut fonctionner avec l'école et l'emploi. Il faut pour cela aller chercher chaque enfant où il se trouve, lui montrer le chemin de l'école, lui apporter les moyens dont il a besoin. En considérant chaque enfant de France comme une chance pour l'avenir du pays. Comme notre nation l'a toujours fait jusqu'ici.
Encore faudrait-il qu'on se souvienne que tout ce qui est grand dans ce pays vient, d'une façon ou d'une autre, au moins en partie, d'ailleurs; et que c'est même une tribu étrangère qui a donné son nom à la France.
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